Ecriture, le 1er jet : architecte ou jardinier ?


Cela fait à présent quelques années que j’écris et le meilleur conseil que j’ai reçu reste toujours : allez au bout de votre premier jet, racontez toute votre histoire, puis retravaillez. C’était l’un des premiers donné lors du MOOC Draftquest, mais aussi par Bernard Werber lors de sa masterclass que j’ai suivi.

Il est tentant de juger nos écrits, de vouloir coucher directement la phrase parfaite. Mais une telle méthode ne pourra que donner un début éventuellement parfait (et encore), mais sûrement pas une histoire, surtout lorsqu’on débute. Ce premier jet est un tas de terre glaise auquel on donne des formes grossières, la réécriture permet d’affiner les détails.

Pourquoi j’écris tout ça et je sors cet article maintenant ? Parce qu’en novembre a lieu le NaNoWriMo auquel je participe depuis quelques années. Ce défi mondial un peu dingue consiste à écrire 50 000 mots en 1 mois, soit 1667 mots par jour. C’est beaucoup - en tout cas pour moi, je ne suis pas une rapide -, je n’ai atteint ce palier qu’une fois en plusieurs années, mais dans tous les cas on avance, avec le côté ludique du compteur qui grimpe et l’ambiance d’émulation entre participants.

Le but est donc de produire notre terre glaise sans regarder en arrière pour juger les formes.

Et pour construire l’intrigue de base, la colonne vertébrale de notre histoire il y a deux grandes approches.



NB : les images utilisées sont des extraits du site officiel NaNoWriMo et lui appartiennent donc.

L’architecte


Appelé « planner » dans le jargon du NaNoWriMo (planificateur), le nom parle de lui-même : avant de commencer l’écriture, l’architecte prépare les plans de sa maison, parfois très détaillés, parfois moins (je reviens un peu plus loin sur cette nuance). Ce type d’auteur a une approche méthodique de son roman. Il sait déjà comment il commence, les péripéties, la fin. Il fait des fiches personnages, décors, etc. Prépare ses recherches avant de poser le moindre mot.

Il existe plusieurs méthodes pour aider à créer sa structure, comme par exemple la méthode du flocon. On peut aussi reprendre les étapes du monomythe ou du voyage du héros (version plus détaillée du précédent). Ces théories reposent sur l’idée que la plupart des histoires - voire toutes -, de l’antiquité à nos jours, peuvent se décomposer en un certain nombre d’étapes, les principales étant :


1. La situation initiale : le monde normal du (des) personnages principal (aux)


2. L’appel du héros : un élément vient perturber la vie quotidienne du personnage principal

Cela va de la rencontre de Juliette pour Roméo, à la découverte de l’anneau par Frodon, en passant par l’expérience qui tourne mal des frères Elric. A partir de là, le (ou les) héros a le choix de répondre ou non à cet appel : Roméo aurait pu lâcher l’affaire en découvrant que Juliette était la fille de son ennemi ; Frodon dire à Gandalf de se débrouiller ; les frères Elric abandonner l’alchimie et accepter leur sort.

L’histoire serait un peu courte dans ce cas ! Mais rien n’oblige le héros à accepter d’emblée, ou facilement.


3. Des péripéties : des épreuves se mettent sur le chemin du héros

On ne va quand même pas lui faciliter la vie ? Pour rendre une histoire intéressante, il faut de la tension, un fossé entre ce que veux le personnage et la réalité : qu’est-ce qui se dresse en travers de son chemin ? Comment va-t-il le surmonter ?

Les épreuves ne sont pas forcément des combats au sens propre du terme - ça peut ! mais pas forcément. Et les monstres à vaincre peuvent prendre divers visages : un rival, un dragon, une catastrophe naturelle, ou le héros lui-même. Les péripéties dans Haikyuu seront - notamment - les matchs ; le principal ennemi de Yuri Katsuki est son anxiété ; et bien sûr le principal problème de Roméo et Juliette est l’hostilité de leurs familles.


4. Une résolution, qui a permis au personnage d’évoluer

Bonne ou mauvaise, l’issue de la quête résout le problème initial. 

L’histoire d’amour a son happy end - il vécurent heureux bla-bla-bla - ou se termine mal - séparation, mort... Le fait est que la tension initiale de la rencontre entre Roméo et Juliette a une fin claire et une morale.

Je ne suis pas du tout fan des happy ends aux forceps : une bonne fin doit être la conclusion logique - mais pas forcément évidente - de l’intrigue, doit être cohérente et fidèle au monde créé et au caractère des personnages.


5. Un retour à un monde normal, mais différent de la situation initiale


Tout ceci est évidemment très schématisé, mais parfois y revenir peut aider à se débloquer dans l’étape de préparation de son texte. Je vous conseille d’ailleurs de vous entraîner à identifier les schémas narratifs dans les fictions que vous lisez ou regardez, c’est très instructif (mais parfois agaçant quand on voit tout venir à 10 kilomètres).

Je vous invite à regarder cette courte vidéo Ted-ed sur le voyage du héros pour mieux comprendre le concept.


Le jardinier


Chez les Nanoteurs, on parle de « pantser ». Je suppose que ça vient du mot « pants » (pantalon) et est une image pour celui qui démarre le NaNoWriMo les mains dans les poches.

Le jardinier / pantser au contraire du précédent aime se laisser porter par sa plume. Il prend des personnages, les place dans une situation initiale et raconte ce qui se passe à partir de là. Au contraire du précédent, il aime se laisser surprendre et déteste savoir à l’avance ce qu’il va écrire. S’il a besoin de recherches, il va les faire au fur et à mesure de ses besoins.

Cette approche est plus spontanée et peut donner un premier jet moins bien structuré : peu importe ! De nouveau, ce dernier est notre terre glaise dégrossie, il « suffit » (oui les guillemets sont indispensables) de modifier la structure, ajouter des détails, etc.


La troisième voie


Je vous entends d’ici : « Quoi ? Mais tu as dit qu’il y avait deux approches ? C’est quoi ce bazar ? »

En fait, les choses ne sont pas aussi tranchée, et certains auteurs - dont je fais partie - ont tendance à mixer les deux approches, avec toutes les nuances de préparation - ou d’absence de préparation - possibles et imaginables. Cet hybride est appelé « plantser » par les Nanoteurs, mot qui contracte donc les deux précédents.

Je vais vous donner en exemple la façon dont je travaille sur L’Opale de Feu et sur les fanfictions.


L’Opale de Feu : « planner tendance pantser »

Lorsque j’ai commencé à écrire ma saga fantasy, je débutais et j’avais besoin de me raccrocher à un minimum de structure. Par ailleurs, un monde fantasy ne se met pas en place en un claquement de doigts (voir mon article sur ce sujet), une quête sur 4 tomes non plus. J’ai donc commencé par créer mon monde, mes personnages principaux et un plan sur l’ensemble de l’histoire. Puis pour chaque tome j’ai également un plan.

Seulement ce dernier est loin d’être détaillé : disons que je sais d’où je pars, où je vais, et quelques étapes sur le chemin. Le reste se fait au fil de l’eau et il n’est pas rare que mon plan initial soit bouleversé par mes personnages qui ne sont pas d’accord. Oui, ces bêtes là ont une vie propre et sont loin d’être toujours coopératifs !

À vrai dire leurs moments de rébellion sont mes meilleurs moments d’écriture ! C’est un peu comme s’ils me soufflaient la véritable histoire à raconter, comme si les pièces du puzzle s’emboîtaient parfaitement. Parfois ça arrive lors du 1er jet. Parfois à la réécriture : c’est comme ça que j’ai dû réécrire la seconde moitié du tome 3, parce qu’un évènement a été modifié au milieu et entraînait un changement de tous les suivants ! C’était un boulot monstre et un poil frustrant vu tout ce que j’ai dû balancer, mais je ne regrette pas, ça a ajouté à la tension narrative de ce tome et - à en croire les retours des lecteurs - c’était le bon choix.

Par ailleurs je ne suis pas forcément accro aux fiches, que ce soit pour les personnages ou les décors. C’est même assez courant que je créée mes personnages au fil de l’intrigue - pas les principaux évidemment, mais tous les autres -, tout comme leurs animas et le milieu dans lequel ils évoluent. Par conséquent je n’ai pas une seule phase de recherche d’informations préparatoire, mais plein de petites (ou plus grandes, j’adore ça, je peux y perdre des heures...) à chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Il m’est par contre indispensable de noter les noms des différentes tribus, de leurs membres et animas associés, sous peine de m’emmêler les pinceaux, surtout d’un tome à l’autre.


Les fanfictions : « pantser tendance planner »

Oui, il y a une subtile différence entre la façon dont j’ai abordé l’écriture de L’Opale de Feu et celle de mes fanfictions.

Quand j’ai commencé à écrire des fanfictions, mon but n’était rien d’autre que de canaliser mon obsession pour Yuri on Ice et ses personnages dans une histoire sans prétention. Comme je l’explique dans cet article, cet exercice m’a apporté énormément, y compris dans la façon d’appréhender la construction d’une intrigue.

Pour la première histoire, Amnésie, j’ai donc pris les personnages de l’animé et je les ai placé dans une situation initiale de bouleversement du monde ordinaire (l’appel du héros donc). Et puis je les ai regardé se débattre avec ça et me guider.

Je pense que je n’aurais pas pu faire cet exercice lorsque j’ai commencé à écrire : en réalité ça a fonctionné parce que j’ai intégré les schémas narratifs classiques. Inconsciemment, mon plan s’est peu à peu dessiné dans ma tête, et après quelques chapitres je savais où je voulais emmener mes protagonistes - toujours pas comment en revanche. Bref, ayant un but, j’ai construit l’intrigue pour arriver à une scène bien précise (celle où Victor confronte Yuri pour ceux qui ont lu). Puis une fois à ce point qui était pile au milieu de mon histoire, j’ai fait pareil pour parvenir à la résolution.

De nouveau pas de fiches personnage vu que je les connaissais déjà bien et des recherches au fil de l’eau.

Pour ma dernière fanfiction - en cours d’écriture / publication - Yuri in the Sky with Diamonds, en revanche, j’ai une esquisse de plan et j’ai fait des fiches. Certes, j’ai repris les personnages de Yuri on Ice, mais je les ai rajeunis et j’ai modifié le contexte : j’ai donc noté ces nouvelles informations. Celles-ci n’apparaissent pas forcément dans mon texte, mais me permettent de garder une cohérence - qu’ils ne changent pas d’âge, de compétences ou d’animal de compagnie d’un coup. J’ai également des personnages originaux pour lesquels j’ai eu besoin de prendre des notes. Par ailleurs, comme je suis dans un monde fantasy, dont une partie a été créé par J.K. Rowling, une autre par mes soins, j’ai besoin là aussi de rassembler les informations officielles enrichies des miennes.

La partie recherche - assez conséquente sur cette fanfiction - est toujours au fur et à mesure. En fait je ne sais jamais exactement de quoi je vais avoir besoin quand j’écris, donc j’ai pris les informations indispensables pour commencer, puis j’avise.


Dans tous les cas il y a quelque chose d’indispensable : noter toutes ses idées ! Même les plus bizarres, même quand elles viennent à 4h du matin, même si c’est pour ne pas les utiliser. J’oublie très très très très très (je pourrais encore en ajouter, je n’exagère pas) vite ce qui me passe par la tête, souvent juste le temps de me dire que je vais le noter et c’est trop tard. Du coup j’ai toujours de quoi noter près de moi - souvent mon iPad - et j’écris TOUT. Souvent ça suffit à me donner les grandes lignes de mon intrigue.


La conclusion de cet article c’est qu’il n’y a pas UNE façon de construire son intrigue. Non seulement il y a des variations d’une personne à l’autre, mais d’un texte à l’autre. Au fil du temps, on évolue aussi, on devient plus à l’aise avec certaines étapes.

Et il n’y a qu’un moyen de trouver SA (ou ses) méthode et d’acquérir de l’aisance : écrire ! 


Si vous avez des questions sur cet article ou des thèmes / point précis d’écriture que vous voulez me voir aborder, n’hésitez pas à me les mettre :
- soit en commentaire, mais Jimdo ne permet pas de surveiller mes réponses (Oui c’est bof)
- soit sur Twitter : @OpaleDeFeuAC
- soit sur Curious Cat, qui permet aussi de m’interroger de manière anonyme si vous préférez.

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Commentaires: 2
  • #1

    Rose (Manga suki) (jeudi, 12 octobre 2017 10:54)

    C'était parfait et très enrichissant, merci ! Je verrai bien mais je pense plus me tourner vers la première méthode pour vraiment commencer (c'est celle qui me titille le plus en tout cas ! Je t'en donnerai des nouvelles mais ça serait pas étonnant que je jongle entre les méthodes aussi ^^).

    C'était super intéressant d'avoir tes propres retours sur tes romans et fanfictions :)

  • #2

    Guillaume (jeudi, 12 octobre 2017 13:27)

    Très intéressant et enrichissant!
    J'apprends beaucoup de choses sur l'écriture. Et cela me donne une idée de quel genre de futur auteur je pourrais être (mi-architecte mi-jardinier ^^).
    En tout cas, merci de nous faire partager cela :)